- L'Etat doit-il
              obéir à la morale ? Machiavel - Le Prince
 
             
      « Il n'est pas bien nécessaire qu'un prince les [bonnes
        qualités] possède toutes, mais il l'est nécessaire
        qu'il paraisse les avoir.  
         
        J'ose même dire que s'il les avait effectivement,
        et s'il les montrait toujours dans sa conduite, elles pourraient lui
        nuire, au lieu qu'il lui est toujours utile d'en avoir l'apparence. Il
        lui est toujours bon, par exemple, de paraître clément,
        fidèle, humain, religieux, sincère ; il l'est même
        d'être tout cela en réalité : mais il faut en même
        temps qu'il soit assez maître de lui pour pouvoir en savoir au
        besoin montrer les qualités opposées.  
         
        On doit bien comprendre
        qu'il n'est pas possible à un prince, et surtout à un prince
        nouveau, d'observer dans sa conduite tout ce qui fait que les hommes
        sont réputés gens de bien, et qu'il est souvent obligé,
        pour maintenir l'État, d'agir contre l'humanité, contre
        la charité, contre la religion même. Il faut donc qu'il
        ait l'esprit assez flexible pour se tourner à  toutes choses,
        selon que le vent et les accidents de la fortune le commandent : il faut
        que [...] il ne s'écarte pas à la voie du bien, mais qu'au
        besoin il sache entrer dans celle du mal. Il doit aussi prendre grand
        soin de ne pas laisser  échapper une seule parole qui ne respire
        les cinq qualités que je viens de nommer ; en sorte qu'à le
        voir et à l'entendre on le croie tout plein de douceur, de sincérité,
        d'humanité, d'honneur, et principalement de religion [...] : car
        les hommes, en général, jugent plus par leurs yeux que
        par leurs mains, tous étant à portée de voir, et
        peu de toucher.  
         
        Tout le monde voit ce que vous paraissez ; peu connaissent à fond
        ce que vous êtes, et ce petit nombre n'osera point s'élever
        contre l'opinion de la majorité, soutenue encore par la majesté du
        pouvoir souverain.  
         
        Au surplus, dans les actions des hommes, et surtout
        des princes, qui ne peuvent être scrutées devant un tribunal,
        ce que l'on considère, c'est le résultat. Que le prince
        songe donc uniquement à conserver sa vie et son État :
        s'il y réussit, tous les moyens qu'il aura pris seront jugés
        honorables et loués par tout le monde. Le vulgaire est toujours
        séduit par l'apparence et par l'événement : et le
        vulgaire ne fait-il pas le monde ? 
      MACHIAVEL  -  Le
      Prince.       
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